Dauphiné

La grande province delphinale d’Ancien Régime, qui fut à la Révolution scindée en trois départements (Isère, Hautes-Alpes et Drôme) calqués sur les bailliages d’alors, était l’héritière d’une principauté médiévale tardive, née très progressivement au sein de cette partie gauloise et méridionale de l’Empire germanique. Reconnu par Frédéric Ier comme comte de Vienne en 1155, Guigues « dauphin », arborait déjà une foule de titres qui témoignait de son emprise seigneuriale de part et d’autre des Alpes : comte d’Albon, comte de Grésivaudan, duc de Champsaur, prince de Briançonnais et marquis de Césanne ! Le surnom de « dauphins », portés par toute la fratrie du comte, paraît avoir signifié alors le prestige et l’aura d’une famille plus qu’une superioritas clairement revendiquée. Plus puissants que les barons laïques et les prélats de la région, les comtes se hissent véritablement au rang princier avec la dynastie Bourgogne, à partir de 1183. Le nom de dauphin prend alors un double sens, selon qu’il est porté au nominatif, substantivé en titre princier, ou au génitif, porté en surnom par les frères et sœurs cadets du comte. Lorsqu’en 1247, Frédéric II reconnaît la supériorité du prince sur toute la région, villes (sauf Vienne et Romans) et baronnies incluses, il ne manque plus à l’ensemble qu’un nom. En 1285, sous le dauphin Humbert Ier, fondateur de la troisième dynastie, celle de La Tour, est attestée la première occurrence du Delfinatus, peut-être une création des notaires de la cour qui venaient d’inventorier d’une manière toute géographique et territoriale les chartes de leur prince. Le dauphin Humbert II (1333-1349), en s’emparant des villes de Vienne et de Romans manu militari parachevait une construction pluri-séculaire qui s’étendait des rives du Léman (enclave en Savoie du Faucigny) au pied du verrou de Sisteron et au Tricastin, sans oublier les trois vallées d’Outre-Monts (Bardonnèche, Oulx et la haute Varaita). Du point de vue de la géopolitique locale, la principauté delphinale était en quelque-sorte née contre sa voisine savoyarde. C’est dans la guerre qu’elles se livrèrent que ces deux entités s’affirmèrent et se structurèrent. On tend à considérer que, finalement, c’est aussi le coût de la guerre qui emporta les finances des dauphins et conduisit Humbert II à léguer sa principauté au petit-fils du roi de France, le futur Charles V, en 1349. Cependant, la démission du prince avait aussi d’autres ressorts, personnels et idéologiques, par lesquels il pensait garantir une forme de bon gouvernement à ses sujets. Il fallut ensuite vingt ans à Charles pour clarifier les règles de dévolution au delphinat : en 1368, à la naissance du futur Charles VI, il décida que ce serait au fils aîné du roi de France que reviendrait le titre.

La comptabilité princière delphinale est attestée, ponctuellement, en 1268. Il faut ensuite attendre la fin du XIIIe siècle, 1296, pour trouver à nouveau des comptes, qui constituent alors une série continue jusqu’au milieu du XVIe siècle. Au moment où la comptabilité devient sérielle il existe un véritable « banc des comptes » institué, quasi fixé à Grenoble, sans doute arrimé à des archives devenues massives. La comptabilité qu’il produit est « locale », si l’on se réfère à une grille de lecture postérieure, puisque les comptes sont des comptes dits de « châtellenies » ou de « bailliages ». Il faut attendre la période française, 1356 exactement, pour que la structure comptable se dote d’un échelon supplémentaire « central » avec les comptes dits de « trésorier général », un officier dont la mise en place est concomitante.

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