Le comté de Venaissin
Le Venaissin ne s’est fait un nom qu’à partir du moment où les territoires qui relevaient jusqu’à la croisade albigeoise des comtes de Toulouse passèrent sous le contrôle du pape. Ce fut lui qui propagea l’expression comitatus Venesinus ou Venayssini que les félibres puis les historiens à partir du XXe siècle transformèrent en Comtat Venaissin, ce qui finit par donner au terme Comtat une valeur identitaire qu’il n’avait nullement à l’époque où ces terres furent structurées en comté.
Les sources montrent que le Venaissin, dont le nom dérive probablement de Venasque, une cité épiscopale au Haut Moyen Âge, était aux XIIe -XIIIe siècles une région mal déterminée, mais assez étendue vers le nord puisque Montélimar était réputé en Venaissin. Le traité de Paris imposé en 1229 par le roi de France et le légat du pape au comte de Toulouse Raymond VII n’évoquait qu’une « terre en Empire, outre Rhône », cédée à l’Église à perpétuité. Cinq ans plus tard, le comte de Toulouse recevait de l’empereur Frédéric II le titre de marquis de Provence, qui rendait politiquement cohérentes des revendications toulousaines s’étendant entre la Durance et l’Isère. La disparition du comte et de l’empereur en 1249 et 1250 facilita la résurgence d’une « terre du Venaissin » que les papes, après en avoir pris possession en 1274, structurèrent en comté… ne serait-ce que pour y imposer des cadres administratifs développés auparavant dans leurs terres d’Italie centrale.
Les achats de seigneuries et de fidélités, les cessions de domaines effectuées par les institutions ecclésiastiques donnèrent en quelques décennies une réelle consistance au territoire du pape, qui sous Jean XXII prit le titre, sur les monnaies frappées à Sorgues, de comte du Venaissin. Après un fort développement numérique du personnel administratif au cours de son pontificat, un mouvement inverse provoqua à partir du milieu du siècle la disparition des bayles et la diminution du nombre des viguiers, qui à Valréas, Carpentras et L’Isle exercèrent également d’importantes fonctions judiciaires. En revanche, les clavaires, qui tenaient les comptes nécessaires à l’établissement de la comptabilité provinciale, demeurèrent nombreux : on en comptait 16 en 1352.
Le comté du Venaissin n’était toutefois au XIVe siècle qu’un des éléments de la puissance politique régionale du souverain pontife, qui disposait aussi de la fidélité des comtes de Valentinois et des princes d’Orange, et s’appuyait sur son vassal, le roi de Naples et comte de Provence. Longtemps sous l’influence du comte de Toulouse, contrainte en 1251 de se soumettre aux deux frères de saint Louis, Alphonse de Poitiers et Charles d’Anjou, Avignon était demeurée sous seigneurie indivise jusqu’en 1290, date à laquelle le roi de France avait cédé ses parts au roi de Naples. Achetée en 1348 à la reine Jeanne, la seigneurie d’Avignon ne fut pourtant jamais intégrée ou annexée au Venaissin, bien que ses structures administratives (un viguier, deux juges, un clavaire) aient été peu différentes de celles des communautés du comté.
Une telle histoire justifie la dispersion actuelle des sources comptables relatives aux communautés de l’ancienne « terre de Venaissin », conservées aux Archives nationales, dans les archives communales et départementales de Vaucluse et des Bouches-du-Rhône, et à l’Archivio Segreto Vaticano. Le comté du Venaissin et le district d’Avignon, deux réalités juridictionnelles construites au XIVe siècle, formèrent un ensemble territorial d’une remarquable stabilité, puisque moyennant quelques modifications ils perdurèrent jusqu’à la Révolution, confirmant et infirmant à la fois les sarcasmes de Machiavel qui considérait en 1515 dans Le Prince que les papes « sont les seuls à avoir des États et à ne pas les défendre, à avoir des sujets et à ne pas les gouverner. Mais bien qu’ils ne soient pas défendus, leurs États ne leur sont pas ôtés et leurs sujets, bien qu’ils ne soient pas gouvernés, ne s'en soucient pas ».
Armand Jamme
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